mardi 26 janvier 2010

PRE-PREAMBULE







Pourquoi, pourquoi éprouver le besoin de couvrir des feuilles blanches de mots, de phrases, de couleurs ?
Cela a commencé avec notre voyage en Espagne, en famille, il y a quelques années. Nous nous étions dits: Pas d’appareil photo. Juste des feuilles, un cahier d’écolier, et un carnet de croquis de papier suffisamment fort pour y apposer de l’aquarelle, coller des coquillages, du sable et les tickets de la visite de la plus grande grotte navigable d’Europe. Nous étions revenus de notre périple ibérique avec deux carnets couverts de notes, de dessins et de couleurs.
Le phénomène a continué avec notre dernier voyage en Italie. Florence, la Toscane, Rome. Nous avons subit là-bas le stress de circulation routière, la pression touristique et peut-être le côté sanguin des italiens dans les architectures entremêlées de millénaires d’histoire. Les mots, les images débordaient de ma tête et il en est sorti un petit carnet de voyage.
Un autre périple moins éloigné m’a conduit à écrire, à griffonner, à croquer. Un voyage au Mont St Michel. Tous les jours, j’écrivais le trop plein de mots sur du papier avant d’aller ressentir de nouvelles émotions, entourés d’amis, les pieds dans les sables mouvants, les cheveux dans le vent avec les mouettes, le cœur battant sur les traces effacées des contrebandiers et de pèlerins subjugués.





Et puis cette fois-ci, le voyage est complètement intérieur. Des livres, des livres et des livres. Même si pour cela il a fallut que je rentre dans une médiathèque voisine ou que je vois des amis passionnés qui m’ont gentiment prêtés quelques ouvrages. Le voyage a surtout été introspectif.
Depuis des années, je mets de côté dans une zone un peu en friche de mon cerveau et dans les mémoires de mon vieil IBM, tout ce qui traine à propos de taureaux. Aidé en cela par quelques aficionados de mon entourage. L’un me ravitaillait en revue de bouvine et de tauromachie telles que Bouvino, Camariguo, la fé de Bioù, Faena ou Corrida. Un autre me découpant les articles et les photos autour de tout ça dans les quotidiens régionaux à grand tirage. Un autre encore, que je rencontrai régulièrement sur sa voiture attelée de ses deux camargues me parlant de son ami éleveur de toros de combat et préparant la prochaine saison des ferias voisines.
Tous passionnés de bêtes à cornes au point de parcourir les 1500km qui nous séparent des ganaderias les plus réputées pour voir les toros de la prochaine corrida dans leur gigantesque aire de pâturage ou bien de passer la moitié de son congé hebdomadaire calé dans sa selle a trier les taureaux de la manade d’à côté pour l’abrivado de 11h et de risquer de se casser le cou sur les pavés glissants sous le fer de son cheval au milieu de cette foule trop heureuse d’espérer qu’un taureau fou sorte du parcours et vienne, telle une balle de tissu remplie de lentilles lancée sur la pyramide de boites de choucroute au vin et en fer blanc de la foire de Palavas, jouer au chamboule-tout avec les trois ou quatre générations réunies sur les petits gradins escamotables de la place de l’église.

J’ai brouté pendant toutes ces années beaucoup de choses qui touchaient de près ou de loin aux activités bovines. J’ai ruminé cela avec délectation comme rumine une vache normande couchée dans un carré de luzerne à l’ombre des pommiers en fleurs. J’ai digéré, je crois, et je me suis lancé à essayer de restituer tout ça avec ma vision personnelle. A rendre avec le dessin ces kilos et ces kilos d’émotions emmagasinées au contact des bêtes à cornes. J’ai attendu que cela déborde comme déborde la mousse du jus des pommes tout juste pressées coulant du pressoir dans les fûts en bois du fond de la cave. Cette première pression qui pourra au choix rester jus de pommes, cidre bouché ou vieux calva pour le trou Normand du mariage de la cousine.
Cette première pression-impression de taureaux m’a poussé vers le domaine culturo-religieux des premiers temps des hommes. L’éveil de la conscience. La conscience des autres, la conscience d’être soi, la conscience d’être « être ».

Cette première pression, sans doute, évoluera vers des choses inconnues, des images inattendues. Au fil des semaines, des mois, les formes vont changer, les couleurs aussi. Peut-être le taureau originel ne se ressemblera plus. Et le héro-taureau ne sera plus qu’une idée, un souvenir, caché derrière l’afflux d’images quotidiennes. Pourtant l’émotion restera , envahissante, l’adrénaline, à la simple vue d’une paire de cornes aperçues par le hublot du TGV de 5h39.
Alors quand j’aurai tout oublié, restera au plus profond du moi intérieur cette peur délicieuse, peut-être la mythologie de mes grands-pères cro-magnoniques. Le dieu-taureau, le grand fécondateur de l’univers et la terre-mère, déesse de fertilité. Le principe de base de tout commencement de civilisation, correspondant sans doute à l’instinct de survie des humains. Et réapparait le taureau comme symbole d’un équilibre, d’une puissance naturelle.
Est-ce naturel ? Il se trouve que dans tout ces mythes très anciens apparaissent régulièrement des taureaux. 2000 ans de civilisation Judéo-chrétienne sont passés. Des histoires de taureaux ont résisté. Elles ont traversé l’épopée catholique. Bizarrement, c’est dans un des pays à plus forte tradition catholique qu’elles ont résisté le mieux. Que de contradictions.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, des taureaux sont toujours là.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire