mardi 9 février 2010





















PREAMBULE


Tout a commencé, comme souvent, au hasard des rencontres ; une rencontre avec un livre.
Un jour, un directeur de recherche, professeur à une faculté de Montpellier de mes clients se débarrassait de cartons de livres. J’ai toujours eu mal au cœur de voir des livres partir au rebus. Est-ce un souvenir d’une autre vie ou j’aurai vu avec désolation bruler des livres sous le drapeau nazi ? Je n’en sais rien. J’ai donc ramené ces cartons à la maison. Après avoir opéré un tri succinct, trouvé des étagères pour rayonner toutes ces reliures, me passe entre les doigts une « histoire du peuple Hittite ».
Cela ne vous dit peut-être rien mais, contemporains des pharaons Egyptiens, les Hittites, les Hurrites, les Assyriens et les Babyloniens représentent les principaux peuples qui vivaient dans ce que l’on appelle maintenant le Moyen-Orient. Ils ont été dans les premiers à inventer l’écriture avec des histoires de héros aux pouvoirs surnaturels bien avant que du fond de leur cellules, de vieux moines sadomasochistes ne réécrivent un livre dans lequel d’autres héros vivent autour de trois cent cinquante ans et une jeune fille est dotée d’un hymen résistant aux accouchements.
Ce sont des civilisations méconnues pour un quidam comme moi. Est-ce parce qu’il n’y a, à ma connaissance, jamais eu de représentation des Hittites à Hollywood ? Il est vrai que le rôle des méchants était déjà tenu par les Egyptiens (revoir les 10 commandements). Alors imaginez les méchants des méchants ! Des super-méchants pour notre gentille civilisation Judéo-chrétienne…

Mais je m’égare. Revenons à ce livre. C’est un vieux livre à la couverture bise, aux pages irrégulières. Le bord de ces pages, comme déchiré, porte encore l’ombre des doigts du thésard qui l’a feuilleté dans la moiteur des derniers jours de septembre. J’y ai découvert nombre de gravures, de reproductions de bas-reliefs de 4000 ans d’âge. Et revenait comme une obsession des images de taureaux, de chasse aux taureaux, de taureaux combattants, de taureaux ailés. Une civilisation qui plaçait le taureau dans leur panthéon de dieux, de déesses et de héros.
J’ai dévoré ce que cet Indiana Jones du Louvre avait écrit juste après la dernière guerre mondiale comme si j’avais, le soir au coin du feu, entouré de quelques amis, les pieds nus posés sur la fourrure d’une peau d’ours, enfoncé confortablement dans d’énormes fauteuils Club recouverts de basane de brebis patinée par des années de longues soirées d’hiver, siroté un très vieil armagnac accompagné de quelques châtaignes grillées dans cette poêle trouée, noircie par le feu .
Ensuite, d’une région à l’autre, ma curiosité m’a poussé un peu plus loin toujours en gardant le taureau comme fil conducteur. Iran, Turquie, Syrie, Jordanie et, en toute logique, du Proche orient à la Grèce avec ses mythes fantastiques mettant en scène des taureaux puissants, séducteurs ou provocant des catastrophes.
De la Grèce à la Crète, quoi de plus méditerranéen que la Crète, où ont été retrouvées les premières représentations de jeux avec le taureau. Mais n’était-ce réellement que des jeux ou bien y avait-il quelque chose de sacré aussi ?
Au gré de mes pérégrinations immobiles, j’ai rencontré des taureaux babyloniens, turcs, syriens, grecs, crétois, italiens, égyptiens, libyens, sahariens, espagnols et… français. De toutes les époques, une seule constatation :
Toute la Méditerranée est habitée par des histoires, des mythes autour du taureau. Est-ce cela pourrait expliquer cette passion encore très vivace en Espagne et dans le Sud de la France ? Cela vient de la nuit des temps ! C’est ainsi passé de la chasse au religieux et du religieux au spectacle.

Spectacle que je découvrais dans les années quatre-vingts, invité par mon future beau-père, moi le picard, le « Langue d’oil », au pied duquel restait collé encore un peu de terre des champs de betteraves à sucre, je grimpai sur les pierres bimillénaires des arènes de Nîmes pour découvrir au milieu d’une foule recueillie, enthousiaste et éblouie, sur le sable en bas, cette cérémonie-spectacle ou un prêtre-danseur en bas roses officiait ou jouait avec la mort. Il portait noms à cette époque Nimenõ II, Espartaco… Ils sortaient parfois par la grande porte et en triomphe étaient ramenés jusqu’à leur quartier tels des Césars du XX°siècle à l’hôtel Imperator’ résidence obligée des toreros.
Si j’avais à justifier la tenue de corridas mais je n’ai aucune compétence pour le faire, en dehors du côté esthétique, se serait le dernier contact que l’on a avec la mort dans notre société ou tout cela est occulté. Bien sur, on peut aisément s’en passer et un jour, j’en suis persuadé, elles finiront par disparaître complètement. J’aurai en tout cas ressentis ces émotions là. Le genre d’émotions que l’on ne risque pas de retrouver à la porte des abattoirs avec un bétail formaté, castré, écorné (j’ai toujours eu beaucoup de mal à ne pas trouver une vache sans cornes ridicule !) et nourrit aux antibiotiques et à la farine de poissons.

Me reviens toujours le souvenir de cette petite ferme en face de laquelle j’ai été élevé. Une vraie ferme comme on se l’imagine avec des cochons, des poules, des canards, des oies, des veaux, des bœufs, des vaches, un tracteur, des remorques, des champs de blé, des moissons, des champs de betteraves, la tartine de rillette le matin avec le verre de cidre des pommes d’à côté. C’était une ferme donc pas de taureau sauvage, mais j’y avais un contact étroit avec les bêtes, avec les champs, les prés, la terre, avec la vie, la croissance et la mort.
Plus on avance en âge, plus j’ai l’impression que l’on recherche à vivre les bons souvenirs de son enfance. Si bien que lorsque l’on tuait le cochon, la génisse ou les poulets en face, on les avait vu naître, on les avait nourrit, vu grandir et on les tuait pour les manger. La conscience de la mort était là, presque quotidienne. La Mort fait et a toujours fait partie de la Vie.



C’est dans mon Sud, cette limite méridionale, ce bord de mer où ne sait pas très bien définir où s’arrête la terre et où commence l’eau ; cette Camargue ; où je découvrais d’autres traditions, d’autres taureaux. Des taureaux aux cornes en forme de lyre ; comme pour rajouter à la poésie de l’image. Pays de taureaux vedettes ou sur les affiches des courses libres on voit apparaître d’abord en caractères gras le nom du taureau, puis ensuite presque accessoirement le nom des razeteurs.
On fait venir le « Dieu » taureau pour que « Lui »joue avec les hommes.
Cette terre mi-eau, mi-boue n’aurait-elle gardé jusqu'à maintenant sa propre race de chevaux, sa propre race de bovins et ses propres traditions que pour les touristes du mois d’Aout ? Resterait-il encore autre chose ; de plus ancien ; proche du sacré ?

Retour au village. Dans «mon »petit village de pierre et de garrigue, où comme l’a écrit Jacky Siméon, un des fameux razeteur de l’histoire de la bouvine, cet iceberg de calcaire planté au milieu des chênes verts. Pas d’arène, pas de manade, pas d’étangs ni de flamants roses. Mais dès que sort un bioù dans la rue, tout le monde est là. A l’attendre et en l’attendant, à discuter, à se voir, à communiquer, à blaguer. Et même si finalement « Il » ne venait pas, on se serai vu, on aurait parlé ensemble et c’est l’essentiel. Rassembler. Le taureau rassemble. Il ne s’agit plus de regarder, distrait, le même programme chacun dans son coin sur un écran. Au contraire, dehors, on se rencontre, au hasard des mouvements d’humeur de la bête, on court, on crie et on parle peut-être pour ne rien dire mais on ne reste pas seul mollement allongé sur le cuir vernis du canapé de chez But.
Dans ces fêtes de village, tellement décriées, sur leur longueur, sur leur débauche de degrés d’alcool et tout ce qui en découle. Il est vrai que voir la population dans la rue ça effraie les gestionnaires de l’ordre public ; circulez, y a rien à voir, rentrez chez vous braves gens !
Hé bien si, justement, il y a un taureau à voir et c’est pour cela que l’on est dehors. Aussi quand retentit la bombe, ce gros pétard qui annonce la sortie du bioù, tout le monde se presse, se bouscule pour ne pas manquer les trois secondes pendant lesquelles l’adrénaline monte, augmente le rythme cardiaque, met la pression sur les artères, dilate les bronches et on écarquille les pupilles. Les sabots des chevaux claquent sur le bitume surchauffé. On entend une jeune maman crier à son enfant de remonter sur le mur du presbytère ; Le papy, de sa main ridée, attrape, au cas ou, le fer de la beaucairoise qui ferme l’entrée de la rue du puits; D’un joli mouvement d’ensemble et leurs yeux tous tournés vers le même point, les mamies remontent d’un degré l’escalier du perron de la mairie. Les charnières des portes couinent. Enfin surgissent les taureaux au grand galop encadrés par des centaures bienveillants en vestes de velours noir.
Tout cela n’aura duré que quelques instants. Mais on parlait ensemble depuis une heure et on va encore se parler après, en descendant vers la licence quatre où les glaçons fondent déjà dans l’anisette réparatrice des quarante degré à l’ombre.
Une émotion de trois secondes, mille personnes auront échangé pendant deux heures. Tout cela pour …un taureau.
Ce n’est pas la qualité du spectacle, d’ailleurs est-ce un spectacle ?
C’est dehors, c’est dans la rue, ça rassemble, c’est tout.

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